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Janvier 2014

Pour commencer cette nouvelle année, qui je l'espère, sera pour vous une année de bonheur, de joie et de lectures passionnantes. Je vous offre, en exclusivité, ma nouvelle ayant participé au Concours Paris-Polar 2013.

Le "deal" était d'écrire une nouvelle "polar" ou "roman noir" de 4 à 15 pages en s'inspirant de la photo ci-jointe.

 

Mon titre:

"Sa dernière photo"

Un texte bien sombre, comme je les aime

SA DERNIERE PHOTO

 

1

 

  • C'est sa dernière photo?

  • Oui

  • Et après, vous n'avez plus rien vu?

  • Non, je n'ai plus rien vu.

  • Vraiment, vous ne vous souvenez de rien?

  • Je vous l'ai déjà dit. Il me revient juste des flashs.

  • Écoutez, racontez-moi encore ces flashs.

  • Encore!!!

  • Croyez-moi, c'est important.

  • Bon, alors...Je prenais les clichés et ...j'ai dû m'évanouir. Tout est devenu blanc.

  • Blanc?

  • Oui, peut-être une lumière très intense. En tous cas, plus intense que les flashs du studio.

  • Et puis?

  • Et puis plus rien. Je me suis réveillé. Le studio était vide.

  • S'il vous plaît, racontez-moi encore, en détail, votre réveil. Qu'avez-vous fait...en détail.

  • Je me suis réveillé,  allongé au pied de mon appareil. J'avais un peu mal au crâne vu la bosse que j'ai dû me faire en tombant. Au début, j'étais un peu dans les vapes et puis je me suis souvenu de la séance photo. Je me suis levé et je l'ai appelée. Mais elle n'a pas répondu.

  • Continuez, n'oubliez pas les détails.

  • Les détails...il n'y a pas de détail. Je me suis relevé. La scène était vide. Je l'ai appelée plusieurs fois, pensant qu'elle était dans l'autre pièce, mon salon. Mais toujours aucune réponse.

  • Et alors

  • Alors...Je suis allé dans le salon, dans la cuisine. Elle était partie. Ses affaires n'étaient plus là. Je me suis dit qu'elle avait peut-être eu peur de mon malaise et qu'elle s'était enfuie.

  • L'idée ne vous a pas effleuré qu'elle vous ait donné un coup sur la tête,

  • Pourquoi?

  • Pour vous voler quelque chose par exemple.

Je ricanai

  • Ce n'est pas drôle

  • Si. Plus tard, j'ai vérifié mes appareils, mes filtres, mes tirages, ma carte bleue. Mais rien. Rien n'a disparu. Et puis, je vous le répète. Juste avant mon malaise, elle était sur la scène et elle prenait cette pause.

  • Oui, sa dernière photo.

Un silence s'installa, comme une gêne. Fabien Lobba me dévisageait.

  • Écoutez, il faut me croire. Je n'ai pas inventé cette histoire.

  • Je vous crois Monsieur Thaume. Je vous crois parce que notre ami commun David m'a affirmé que vous étiez un homme sensé et qu'il répondait de vous comme de lui. Mais avouez, il y a de quoi se poser des questions dans cette histoire.

Bien sûr qu'il avait raison. Il y avait de quoi se poser des questions.

  • Maintenant dites-moi. Pourquoi cherchez-vous à retrouver cette jeune femme?

  • Pourquoi?

  • Oui pourquoi? Elle est partie. Elle ne vous a rien pris. Basta. L'affaire est close.

  • Mais... Je voudrais comprendre, c'est tout

  • Comprendre quoi. Vous savez les mannequins, c'est une profession où l'on trouve des tas de filles un peu bizarre.

  • Peut-être mais comment vous expliquez que son site n'existe plus. Que son mail sort « no délivery Â», que son téléphone soit coupé. Qu'elle n'ait pas réclamé l'argent que je lui devais pour sa séance de pose. Elle a disparu. Fuuiiiiitt. Totalement. Elle vient chez moi faire une séance de pose. Je fais un malaise et elle disparaît sans laisser de trace. Je voudrais bien comprendre.

  • Ouais.

  • Imaginez un seul instant qu'elle soit vraiment disparue. Que sa famille la recherche et que les flics trouvent mon adresse. Je vais leur dire quoi ? Qu'elle s'est envolée de chez moi.

Fabien Lobba me regarda en silence. Ce grand escogriffe ne ressemblait pas à un détective privé. Il me paraissait démesurément immense pour passer inaperçu au milieu d'une foule. Mais, j'avais confiance en David. S'il me l'avait recommandé, je pouvais compter dessus.

 

Faire appel à un privé me semblait absurde. Mais c'était la seule façon d'en finir avec mes idées noires. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. Cette jeune femme restait ancrée dans ma tête et je voulais absolument savoir ce qui s'était passé. Pourquoi ce malaise? (enfin ce que je pensais être un malaise). Pourquoi était-elle partie sans me réveiller? Pourquoi avait-elle totalement disparu? Depuis, je n'arrivais plus à travailler. Je ne photographiais plus. J'avais perdu goût à ma passion. Je tournais en rond, chez moi, toutes ces journées à ne rien faire. Ou plutôt si...à regarder les clichés de Jessica. Et notamment, cette dernière photo, que je trouvais magnifique, exceptionnelle. Une photo qui pouvait, peut-être, me valoir un prix. Sur cette photo, Jessica semblait s'évader si loin. Vers l'irréel.

 

 

 

2

 

Trois semaines plus tôt, mon inspiration me poussait à rechercher un modèle féminin  pour travailler sur le corps et l'expression. N'étant pas trop à l'aise financièrement, je préférais ne pas contacter les agences mais passer par un modèle free-lance. J'en connaissais bien quelques-uns mais je souhaitais un modèle nouveau. Comme à mon habitude, lorsque je m'engage sur un travail, je savais exactement quel profil je recherchais. Les photos existaient déjà dans mon cerveau. Je naviguais plusieurs soirs sur le web en faisant confiance au hasard. Après quelques jours, je la trouvai un soir très tard. Elle correspondait à mes attentes. Visage diaphane, allure élancée, voir maigre. Son book n'était pas très fourni. Sûrement une débutante qui essaie de se faire un nom. Elle ne doit pas prendre cher. Vu mes finances, cela pouvait m'arranger. Je lui adressai donc un mail en lui expliquant mes intentions, en lui fournissant le lien pour visiter mon site professionnel et en lui donnant mes coordonnées téléphoniques. Le lendemain, en fin de matinée, Jessica Will (c'était son nom d'artiste) me téléphonait. Elle avait une voix très douce et me rassura en m'expliquant qu'elle était libre pour l'instant. Nous nous sommes donné rendez-vous pour l'après midi chez moi. Elle voulait voir mon studio, mon matériel. En l'apercevant, je compris qu'elle devait faire ces photos. Il le fallait car c'était elle que je voyais dans ma tête. Notre entretien fut très sympathique. Je la trouvai vraiment jolie. Dommage qu'elle fut aussi maigre. Mais pour mon travail, elle correspondait parfaitement. Nous avons convenu rapidement un accord financier très soft pour moi. Mon idée qu'elle courait les cachets se renforça. J'espérais qu'elle fasse tout de même du bon travail. Parfois, on ne peut rien tirer des débutantes. Elles sont trop gauches, trop inexpérimentées. Je lui ai demandé ses mensurations pour acheter les vêtements, puis nous avons pris rendez-vous pour la semaine suivante. Je pensais finir mon travail en deux ou trois séances.

 

Le jour venu, je préparai mon matériel avec entrain. J'avais le sentiment que ce travail serait fructueux. Je voyais déjà les clichés dans ma tête. Jessica allait-elle répondre à mes attentes? J'en étais intimement persuadé. Elle arriva à l'heure. Après lui avoir expliqué quel teint de peau je souhaitais, elle commença à se maquiller. Ou plutôt, à se démaquiller. En effet, je désirais un teint très pâle qui correspondait à la couleur naturelle de son visage. Elle n'eut même pas à gommer une quelconque imperfection. De toute façon, si cela avait été le cas, on peut tout arranger sur informatique aujourd'hui. Nous avons commencé cette séance avec plaisir. Jessica était magnifique. Très professionnelle, elle répondait totalement à mes attentes, les devançant parfois. Elle avait beaucoup plus de métier que je ne pensais et tout se déroulait à merveille. Au bout de quarante minutes, nous avons décidé d'une pause. Elle souriait et semblait très heureuse de poser pour moi. Nous devisions avec sympathie et l'ambiance de travail était très positive. Vingt minutes plus tard, nous avons repris le travail. Et puis, d'un coup tout vira au blanc, comme un flash.

Et je me réveillai à terre.

 

Comme je l'expliquai au détective, je ne comprenais pas qu'elle soit partie ainsi. Cela me semblait incongru. Après avoir repris mes esprits, vérifié que rien ne me manquait (bien sûr que l'idée d'un vol m'avait effleuré), je tentai de lui téléphoner en fin d'après-midi. Or, son téléphone n'était plus en service. Étonné, je lui adressai un mail qui me revint « mail no délivery Â». Oui, j'avais tenté de la retrouver car nous avions un travail à finir, je devais lui verser son cachet (et je suis une personne honnête) et simplement je souhaitai savoir pourquoi elle m'avait laissé évanoui sans intervenir, préférant se sauver.

 

 

 

3

 

Fabien Lobba finissait de vérifier la liste des mannequins de l'agence «Premium Â», sans trouver de trace de Jessica Will. Pourtant, l'agence apparaissait dans le book de la jeune femme, selon les dires du photographe. Suite à la rencontre avec ce dernier, il avait eu envie de laisser tomber. Mais, par amitié pour David, qui n'hésitait jamais à lui rendre service, il s'obligea à pousser un peu l'enquête. Persuadé qu'il trouverait rapidement la belle envolée, il commençait à se poser pas mal de questions. Adresse fausse, téléphone inconnu, mail inexistant et aucune trace d'un quelconque emploi dans les agences qu'elle notait sur son book. Ainsi, il commençait à supposer une histoire plus complexe. Une histoire qui mettrait en cause la belle Jessica mais également, pourquoi pas, ce Mr Thaume. Le menait-il en bateau? Racontait-il une version fausse des faits? On a déjà vu des meurtriers aux idées tortueuses piégeant d'autres personnes pour servir leur dessein. Car si la jeune femme avait vraiment disparue, un meurtre pouvait s'envisager. Ou alors, le photographe inventait cette fable. Mais dans ce cas, David allait nettement baisser dans son estime. Bien sûr, tout cela n'était que suppositions. Mais il y avait une chose dont Fabien Lobba avait en horreur. C'était de ne pas comprendre. Et là, il nageait complètement dans le flou. Vraiment il n'appréciait pas.

 

 

 

4

 

Je vis mon visage dans le miroir de la salle de bains. Putain, j'avais vraiment une sale gueule. La gueule d'un mec qui n'a pas dormi. Qui a cauchemardé toute la nuit. Des visions terribles d'une jeune femme. Je ne me souvenais plus quoi exactement. Pourtant, je savais qu'elle s'était promenée dans  mon sommeil. Tant que je ne l'aurais pas retrouvée, elle me hanterai. Je passai la main dans mes cheveux et attrapai la brosse à dents, en tentant de me concentrer sur cette occupation futile pour chasser mes idées noires.

C'est à cet instant que la révélation me frappa de plein fouet. Je revoyais toute la scène, comme un film au ralenti. Je faillis vomir en me remémorant tous ces instants épouvantables. Qu'avais-je fait?

Ce n'était pas moi. Impossible. Quelles circonstances m'avaient poussé dans cet état. Je dus m'asseoir à même le carrelage de la salle de bains, comme une marionnette cassant ses fils. Je restai prostré une éternité. Effondré par le poids de ma mémoire.

 

Quelques jours plus tard, je reçus un appel du détective. Ma terreur s'était peu à peu changée en angoisse. Pourquoi m'étais-je empressé de faire appel à cet homme. Peut-être qu'inconsciemment, même si je ne me rappelais pas les faits, il fallait que je paie pour cet acte. Il m'affirma avoir du nouveau sur la disparition de Jessica. Il passerait le lendemain.  Qu'avait-il trouvé? Viendrait-il accompagner de la police? Je ne pus discerner, dans ses mots, ses intonations, le brin d'un soupçon.

Ma nuit fut terrible. Depuis que toute cette histoire s'était éclaircie pour moi, je ne rêvais plus de la jeune femme. Ce sont les remords qui m’oppressaient et m’empêchaient de fermer l’œil.

Harassé, j'attendis la venue de Fabien Lobba. Je tournai en rond, sans savoir quoi faire. Il fallait absolument que je cache mes angoisses. Que je fasse bonne figure.

 

 

 

5

 

A 11h, il frappait à ma porte. Il n'était pas seul, mais accompagné d'une femme, entre 40 et 50 ans, un peu rondelette mais encore belle.

Ils entrèrent en silence. Cette femme ressemblait à Jessica. Impossible pour moi de ne pas le remarquer. Fabien me serra la main. Rien ne trahissait d'éventuels soupçons envers moi.

 

Nous nous assîmes autour de la table de salon. La femme avait un air grave. Elle me fixait. Fabien Lobba prit la parole.

- Je te présente Florence Marin, la mère de Jessica. Elle a quelque chose à te dire. Mais avant, elle souhaiterait entendre ce dont tu te souviens, juste au moment du dernier cliché. Il sortit la dernière photo.

 

Je devais mentir bien sûr. Je devais répéter ma première version. Ne pas me laisser entraîner sur ce qui s'était réellement passé après cette dernière photo. Difficilement je répétai l'histoire.

  • Au moment de ce cliché, il y a eu comme une lumière venant d'en haut. Sur la photo, elle lève la tête. Comme si elle était attirée par cette lumière. Et puis...cette lumière m'a aveuglé. Et c'est à cet instant que je suis certainement tombé inanimé. C'est tout ce dont je me souviens articulai-je difficilement.

 

La femme ne m'avait pas quitté des yeux. Elle ne semblait pas triste. Juste interrogative.

Fabien reprit la parole.

  • Écoutez, Mme Marin a quelque chose à vous dire. Cela va vous sembler fou mais elle tenait à venir pour vous voir et vous le dire en face.

Il se tourna vers la femme.

  • Çà va aller Madame? Je vous laisse parler?

Elle parut hésitante

  • Oui, ça va aller, merci.

Elle posa son sac à main noir sur la table. L'ouvrit et en sortit une photo qu'elle me tendit. Une photo de Jessica plus jeune. Elle était souriante, maquillée et vêtue d'une jolie robe bleue. Elle semblait heureuse.

A la vue de cette image, je déglutis. Conscient de l'horreur de mon geste.

Sa mère parla posément.

  • Cette photo a été prise il y a 8 ans, le 14 avril 2005. Jessica avait 14 ans. Sur la photo, elle est très heureuse car elle part pour Paris l'après-midi même avec son père.  Il l'emmène participer à un concours d'une agence de mode très connue, mais dont j'ai oublié le nom. Elle est radieuse car elle voulait devenir mannequin. Dès sa plus tendre enfance, elle ne vivait que pour cela. Elle était très belle. Nous étions sûr, son père et moi qu'elle réussirait.

La femme fit une pause. Respira fort

  • Ça va Mme Marin? glissa Fabien

  • Oui, ça va, ça va

Elle est partie avec son père en voiture. Nous habitions Rennes. Sur la route, un camion a perdu le contrôle et les a percutés. Ils sont morts tous les deux sur le coup. Ma fille n'a jamais réalisé son rêve. Elle avait 14 ans. Ce que vous voyez là, c'est SA DERNIERE PHOTO.

 

Je restai anéanti. Je n'y comprenais plus rien.

 

Fabien me regarda bizarrement

  • Il semble Gabriel que vous ayez fait une séance photo avec un...fantôme. si je puis dire. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais de mon côté, je souhaite en rester là. Je n'ai pas envie de continuer dans cette voie. Je suis quelqu'un de très terre à terre et je préférerais oublier cette histoire. Je vous conseille de faire de même. Il y a des événements qu'il vaut mieux taire et laisser dans l'ombre. C'est aussi l'avis de sa mère. Elle a beaucoup souffert et elle se contenterait bien de savoir que Jessica a enfin réalisé son rêve. N'est-ce pas Madame?

  • Oui, je vous demande d’en finir avec cette affaire. Je veux qu'on laisse Jessica tranquille. Quoiqu'elle fasse. Où qu'elle soit.

Je les regardai longuement.

      - Nous sommes d'accord dit Fabien en m’adressant un regard appuyé.

      - Nous sommes d'accord.

Ils se levèrent et sortirent tous les deux, sans un mot.

 

Je ne comprenais plus. Jessica n'existait pas. Ou plutôt n'existait plus.

Mais alors, à qui appartenait le corps que j’avais jeté dans le canal ce soir-là?

 

 

"LaurCéli"

 

 

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